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Au Togo, le comportement des joueurs exaspère la population

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Lomé (Togo)

Envoyé spécial

Il file à travers les rues cabossées de Lomé cheveux au vent et, klaxon bloqué, slalome entre les voitures avec dextérité. Georges est chauffeur de « zem », un taxi-moto comme il en existe des milliers dans la capitale togolaise.

Comme les autres, il attend le début de la Coupe du monde avec impatience, mais reste pessimiste quant aux chances de voir son équipe, qui est dans le groupe de la France, avec la Suisse et la Corée du Sud, franchir le premier tour. Comme les autres, aussi, Georges est déçu. « Il n'y a plus vraiment la même ferveur, dit-il. Si nous sommes fiers de voir notre équipe participer au Mondial, on est tristes de voir que nos joueurs ne se comportent pas toujours comme il le faudrait. »

Au centre des crispations, il y a les revendications des joueurs, qui exigent, pour leur participation au Mondial, des primes. Dans un pays qui traverse une période très difficile sur le plan économique, ces exigences financières choquent.

Si l'engouement des Togolais a d'abord été à la mesure de l'exploit de leur équipe, qui s'est qualifiée pour une phase finale de la Coupe du monde pour la première fois, il a également été douché par des résultats des plus médiocres durant la Coupe d'Afrique des nations (CAN), en janvier.

Les Togolais ont enregistré trois défaites en autant de rencontres. L'équipe était minée par les querelles internes, à tel point qu'Emmanuel Adebayor, la star de l'équipe, qui évolue durant l'année dans le championnat anglais avec son club d'Arsenal, avait refusé de participer au premier match.

Victime de ce parcours décevant, le sélectionneur Stephen Keshi fut remercié, puis remplacé à la hâte par l'Allemand Otto Pfister pour préparer la Coupe du monde. « Les Eperviers ont déçu beaucoup de monde, reconnaît Agouta Ouyenga, ministre de la jeunesse et des sports. Pendant la CAN, j'ai vu des gens pleurer et éteindre leur télé. »

Chaleureux, les Togolais sont aussi adeptes de l'autodérision. Agbotcho Madatina, un célèbre humoriste, termine désormais tous ses sketches ainsi : « Je peux mourir tranquille parce que j'ai vu une fois dans ma vie les Eperviers s'envoler vers le Mondial. Reste quand même à savoir quand ils reviendront. Et sans la grippe aviaire ! »

Dans les rues de Lomé, on peut voir ici ou là quelques panneaux publicitaires : « Y croire, c'est gagner ! » Le slogan est de mauvais augure... Il y aussi les traditionnels stands de tee-shirts et gadgets, mais rien de plus.

Au nid des Eperviers, situé dans le quartier populaire de Be-Kpota, on affirme que des dizaines de supporteurs s'installeront jusque dans la rue « pour encourager leur équipe, et pas seulement parce que les Flags [les bières locales] sont offertes en cas de victoire ». Mais la crainte d'une déroute de l'équipe nationale est dans toutes les têtes. Partout dans le pays, prêtres et adeptes du vaudou ont promis de préparer leurs meilleurs fétiches pour soutenir la sélection.

Le football est aussi un enjeu politique : certains espèrent, qu'en dépit des dissensions au sein des Eperviers, il pourra servir un discours de réconciliation nationale.

Depuis 1993, à la suite de violences électorales, l'Union européenne a suspendu son aide envers le Togo. Mais, depuis avril, le gouvernement de Faure Gnassingbé, fils du président défunt Eyadema, a pris des engagements devant l'UE, qui prévoient notamment de renouer le dialogue avec les grands partis d'opposition. L'un deux, l'UFC, arbore la couleur jaune, qui est aussi celle des Eperviers. A quelques jours du début de la Coupe du monde, le dialogue politique intertogolais en est encore au stade des prémices. « En Allemagne, nos ambassadeurs sportifs doivent permettre aux Togolais de se donner la main, affirme Agouta Ouyenga. Ils doivent faire connaître notre pays, et plus seulement à cause de son déficit démocratique. » La Fédération togolaise de football est présidée par Rock Gnassingbé, le frère aîné du chef de l'Etat.

Pierre Lepidi (Le Monde, le 09 juin 2006)












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